Médiation animale au Centre Hospitalier de Mulhouse

lundi, 4 janvier 2010, 11:21 | Catégorie : Psychiatrie et médiation animale

Tout d’abord, l’association Cœur d’Artichien vous souhaite à tous : Bonne année 2010 !!!

Pour commencer en beauté cette nouvelle année, voici un article d’Eric Trivellin, c’est un infirmier qui travaille en médiation animale au Centre Hospitalier de Mulhouse, et qui est intervenant à la formation du DU RAMA.

eric trivellin

Résumé :

Des patients hospitalisés en unité fermée de Psychiatrie bénéficient, sur prescription médicale, de la Cynothérapie, une activité de thérapie qui utilise le chien comme médiateur relationnel, au même titre, par exemple, que le cheval dans l’Equithérapie qui, elle, se pratique ailleurs. Même si cette activité est réservée, pour l’instant, aux personnes adultes, il est tout à fait possible d’extrapoler ce que nous faisons pour une application avec des enfants ou dans tout autre service d’un hôpital.

Pour les plus courageux voici l’article en entier. Il vaut le détour !!

« Quoi ? Des chiens en Psychiatrie ? Seraient-ils à ce point tombés malades qu’il a fallu les interner ?!… » Mais non, rassurez-vous !… C’est justement parce qu’ils sont bien dans leur tête, dans leurs poils et dans leurs pattes qu’ils interviennent régulièrement, au Centre Hospitalier de Mulhouse, en secteur fermé de Psychiatrie adulte.

L’idée de réaliser un tel projet est venue de la rencontre de deux membres de l’équipe soignante : Catherine, infirmière déjà en poste et moi, nouvel infirmier. Un projet s’en suivit. Après quelques mois de gestation, celui-ci fut approuvé par la direction de l’hôpital.

Le 03 février 2006 l’activité commença à raison d’une journée par semaine. A partir du mois de mai, au vu des résultats observés, celle-ci est devenue bi-hebdomadaire. Les chiens et leurs « maîtres-infirmiers » travaillent donc ensemble, de journée, le mardi et le vendredi. C’est ainsi qu’interviennent, à tour de rôle, U2 et/ou Arbois, deux femelles Sarplaninac avec Prisca et/ou Dharma, deux femelles Berger des Shetland, qui m’appartiennent. Pitchoune, la sœur de Prisca qui participait aussi à l’activité est décédée en novembre dernier. Téquila, un mâle Golden Retriever, appartenant à Catherine, n’est pas en reste puisqu’il intervient en alternance avec ses homologues. Plus rarement, Comète, une femelle Golden Retriever, appartenant à Laurence, la psychologue de l’unité, les accompagne ou les remplace dans leurs sorties.

Cette activité s’adresse principalement aux patients déstructurés, essentiellement psychotiques, nécessitant des activités sociothérapeutiques ouvrant sur l’extérieur et pour lesquels les sorties « seul » sont déconseillées ou contre-indiquées. Le soignant peut réfuter la participation d’un patient s’il juge son état incompatible avec l’activité. Celle-ci n’est d’ailleurs jamais imposée aux patients d’autant plus si certains ont peur des chiens. Cependant, certains patients cynophobiques ont réussi à surmonter leurs peurs et sont même devenus amis avec les chiens…

Pour le Psychiatre Marco Heinis, « …l’animal de compagnie est médiateur, substitut et aussi « co-thérapeute » … ». Il n’est donc ni un médicament, ni un thérapeute à part entière. On peut ainsi dire qu’il est thérapeute malgré-lui.

Même si la Cynothérapie, vue de l’extérieur, peut paraître ludique, elle est réalisée dans un but thérapeutique. En effet, le patient s’occupe du chien, le promène, le caresse, le toilette, joue avec lui, lui parle, l’embrasse, se confie à lui, lui donne de petites récompenses, etc., mais ce, toujours en présence de son « maître infirmier ». Ce faisant, le chien contribue, à sa manière, à l’amélioration de l’état d’un patient. C’est donc en ce sens qu’il a un rôle de co-thérapeute dans la prise en charge des patients.

Grâce aux chiens les soignants sont aussi perçus différemment. C’est là qu’intervient pleinement leur rôle de médiateur thérapeutique dans la relation entre les patients et les soignants. C’est un autre regard sur le soin. Il n’y a plus de blouse blanche ce qui fait que « l’infirmier » se fait oublier et que les patients changent d’attitude. Ils sont ainsi plus aptes à se livrer, à se confier, à parler de leurs problèmes, de leurs angoisses. De ce fait, une relation un peu « privilégiée » se crée entre les soignants animant l’activité et les patients et ce, grâce à la présence du chien. Celui-ci devient « tiers », ce qui évite une relation « duelle » patient – soignant. Un effet rémanent existe aussi puisqu’il est fréquent que les patients les questionnent d’un « …comment vont les chiens ?… » ou « … vous n’êtes pas venu avec les chiens aujourd’hui ?… »,  les jours où ceux-ci ne sont pas dans le service.

Pour les patients, les objectifs recherchés sont multiples, ils sont d’ordre :

Educatifs et intellectuels :

–          Prendre conscience de l’importance des soins de base pour les animaux avec le renvoi sur soi que cela apporte.

–          Découvrir le comportement du chien, observer ses réactions.

–          Eveiller la curiosité, l’intérêt, élargir ses connaissances.

–          Respecter le chien.

–          Exprimer un ressenti par rapport au chien et aux animaux en général.

–          Connaître l’institution où il est hospitalisé.

–          Adapter sa tenue vestimentaire en fonction de l’activité et de la saison.

–          Etc…

Sociaux et relationnels :

–          Faciliter l’intégration dans un groupe, celle-ci l’étant par la présence du ou des chiens.

–          Favoriser le sentiment d’appartenance à un groupe.

–          Répartir et partager les tâches.

–          Enrayer le processus d’isolement, de repli sur soi.

–          Nouer des contacts.

–         Rencontrer et côtoyer d’autres personnes.

–          S’adapter à la vie sociale.

–          Pouvoir donner son avis.

–          Effectuer un choix.

–          Etc…

Physiques :

–          Améliorer la dextérité, la rapidité.

–          Développer le sens du toucher.

–          Développer la mobilité de la personne.

–          S’oxygéner.

–          Combattre la sédentarité, le surpoids, le déficit musculaire et articulaire.

–          S‘entraîner à l’effort.

–          Etc…

Thérapeutiques :

–          Rôle de médiateur, du chien, entre les patients et les soignants.

–          Valoriser le patient car le chien obéit aux ordres simples.

–          Permettre au patient de se projeter dans un avenir proche en programmant la prochaine sortie avec le chien.

–          Investir un espace autre que l’environnement du service en tenant compte de la présence de l’animal.

–          Apprendre ou réapprendre le comportement adapté face à la circulation des véhicules, face à la présence du ou des chiens.

–          Permettre un type de relation sensorielle avec l’animal.

–          Responsabiliser le patient car tenir le chien en laisse, c’est être « responsable » du chien.

–          Se détendre par le jeu avec l’animal.

–          Diminuer le stress.

–          Evacuer l’angoisse car le chien est facteur d’apaisement.

–          Eliminer une énergie pouvant se transformer en agressivité par l’effet modérateur du chien.

–          Effet « antidépresseur » naturel du chien.

–          Faire travailler la mémoire par les souvenirs que le chien réveille.

–          Permettre au patient de le ramener à la réalité.

–          Etc…

L’on voit ainsi que l’éventail des bénéfices est très vaste et non limitatif.

Une évaluation individuelle et groupale est effectuée après chaque séance et retranscrite dans le dossier de soin du patient. Les collègues de l’équipe sont aussi informés oralement du déroulement et des résultats des séances. Des évaluations périodiques sont aussi régulièrement effectuées lors de réunions pluridisciplinaires.

L’activité se pratique soit dans l’enceinte du grand parc arboré de l’hôpital, soit en sortie nature, à l’extérieur de celui-ci. La proche région est en effet propice au dépaysement de par la diversité de ce qu’elle propose : étangs, lacs, rivières, forêts et montagnes. Les sorties en ville ne sont pas oubliées, surtout lors des marchés de Noël.

Les patients ne pouvant pas quitter l’unité de soins peuvent, eux aussi, bénéficier des bienfaits de la Cynothérapie, puisque les chiens accèdent au service et y ont même leur « salle de repos ».

Tous les chiens ont passés une série de tests afin de vérifier leur caractère et leur comportement par rapport à l’activité. Ils ont ainsi été soumis à la présence de personnes étrangères les manipulant, partant avec eux en laisse, leur donnant des ordres simples. Les jeux et le brossage ont fait partie des tests, tout comme la réaction face à du matériel hospitalier inconnu ou encore à une agression… Ces tests n’ont pas été faits à la légère, puisque je suis, en plus de mon travail d’infirmier, moniteur en éducation canine et formateur auprès de la Commission Nationale d’Education et Activités Cynophiles, dont je suis le responsable national du Groupe de Travail « Chiens Visiteurs » et qui dépend de la Société Centrale Canine. J’ai donc monopolisé mes collègues moniteurs du club afin qu’ils participent à une après-midi de tests de validation des chiens.

Une visite vétérinaire individuelle de chaque chien fut aussi faite afin de vérifier le bon état sanitaire et comportemental de l’animal. Celle ci est renouvelée une fois par an, lors de leurs revaccinations. Cela assure un suivi officiel et continu des chiens.

Du fait de leur emploi « d’outils thérapeutiques », les chiens sont assurés par l’hôpital au cas où un incident viendrait à survenir. Pour l’instant, nous n’en avons pas eu de notables à signaler.

Concernant  l’hygiène, le fait d’introduire des animaux dans un hôpital ne pose pas de réels problèmes, à partir du moment où certaines précautions sont prises. Une concertation avec le Comité de Lutte contre les Infections Nosocomiales reste néanmoins nécessaire.

Il est indispensable que les chiens puissent régulièrement se reposer. Leur effet d’« éponge affective » étant bien réel, il est nécessaire d’alterner temps de travail et temps de repos afin de les préserver. Toute utilisation « intensive » d’un chien dans ce type d’activité est à proscrire sous peine de voir celui-ci refuser un jour de revenir travailler car il aura dépassé son seuil de tolérance. Le « burn-out » syndrome  n’existe pas que pour les humains…. Qu’on se le dise !

Ce qui plaît le plus aux patients, c’est que le chien, lui, ne les juge pas. Il va vers eux, spontanément, sans a priori, quelque soit leur état. Ce qui n’est de loin pas le cas de certains de leurs semblables « humains »… Il est toujours agréable d’entendre dire d’un patient que « … quand je suis avec les chiens, j’oublie que je suis malade… » ou de voir le visage d’un autre patient, incapable de s’exprimer, s’illuminer au contact du chien…

En deux ans et demi de pratique, ce sont plus de 200 journées de Cynothérapie qui se sont déroulées sans encombre. A ce jour, il y a eu plus de 1200 participations avec près de 250 patients différents.

Depuis peu je m’aventure aussi en Géronto-psychiatrie avec des résultats probants. Et pourquoi pas, dans un futur que j’espère proche, intégrer la Cynothérapie aux autres activités thérapeutiques déjà proposées au « Pavillon des activités » ou alors intervenir dans d’autres services de l’hôpital comme la Pédopsychiatrie ? L’avenir me le dira car les demandes existent et une kinésithérapeute, lors d’une intervention dans le service, semblait très intéressée après m’avoir « empruntée » une de mes chiennes pour faire réaliser des exercices à une patiente. Celle-ci était opposante et refusait de faire les mouvements demandés. Le fait d’intégrer Arbois aux exercices a permis leur réalisation…

C’est bien la preuve, pour ceux qui en douterait encore, que les animaux peuvent grandement faciliter la relation soignant-soigné. De plus, les bénéfices apportés par la présence animale n’étant plus à démontrer, il est tout a fait souhaitable que cette activité se développe.

J’aurai de nombreux autres exemples à vous citer mais je vais me limiter à ceux-ci :

Un matin, dans le parc, alors que j’accompagnais deux patients promenant U2 et Prisca, un patient d’une autre unité, qui devait mesurer 1m90 pour 130 kg, est venu à notre rencontre. Il nous a demandé s’il pouvait, lui aussi, caresser les chiens, ce à quoi je lui ai répondu par l’affirmative. Il est tombé à genoux, les a caressés, embrassés un long moment puis s’est relevé la larme à l’œil en disant simplement « Merci ! », puis s’en est allé… Cela peut paraître insignifiant, mais sa réaction prouve bien que cette rencontre fortuite avec les chiens lui a permis d’extérioriser quelque chose.

Un après-midi, lors d’une sortie dans le parc, un patient promenait U2 en ma compagnie. Un petit groupe de personnes se dirigeant vers la maternité nous a croisés. Ces personnes se sont étonnées de la présence de ce grand chien dans l’enceinte de l’hôpital et nous ont donc apostrophés à ce sujet… Que croyez-vous qu’il se passa ?… C’est le patient, lui-même, qui expliqua aux visiteurs, tout en leur faisant caresser le chien, que c’était une activité thérapeutique mise en place pour des patients, hospitalisés en psychiatrie, afin de renouer un contact avec l’extérieur. Il leur donna des explications cohérentes et pertinentes alors que moi je ne manifestais rien. Le plus intéressant dans l’histoire fût alors de regarder l’expression de ces gens qui cherchaient à savoir, sans oser le demander, qui était le patient et qui était le soignant…. Et bien, ils ne l’ont jamais su, même si je pense, à juste titre, qu’ils ont crûs que c’était moi !

J’ai aussi été confronté plusieurs fois au fait de devoir annoncer le décès de Pitchoune à des patients ré-hospitalisés et qui me demandaient, dès leur arrivée, comment allaient les chiens. Il était touchant, d’autant plus que ces personnes n’allaient pas très bien, d’en voir certaines se mettre à pleurer ou à bredouiller quelques mots de condoléances… Comme quoi, même une petite boule de poils de 6 kilos avait réussi à les marquer et à rester gravée dans leur mémoire.

L’activité connaît un nouvel essor avec Bianca, une jeune femelle Huskie appartenant à Jessica, une collègue infirmière, qui intervient dans une autre unité fermée d’un autre secteur de  psychiatrie adulte du même hôpital. Et Marine, une femelle Labrador appartenant à Nathalie, collègue infirmière elle aussi, aurait prochainement dû aller rendre visite à domicile aux patients dans le cadre de leur suivi. Malheureusement, même si elle a passé avec succès tous les tests, elle risque fort de ne jamais démarrer l’activité puisque sa « patronne d’infirmière » vient d’être promue comme Faisant Fonction Cadre dans une autre unité… Peut-être l’accompagnera t’elle dans ses nouvelles fonctions ? Qui sait ? C’est une affaire à suivre…

Eric TRIVELLIN,

dogtherapy@estvideo.fr

http://sites.estvideo.net/cynotherapie/

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2 Commentaires pour “Médiation animale au Centre Hospitalier de Mulhouse”

  1. 1LACROUTE

    Bonjour,
    Je m’appelle vincent lacroute, je suis infirmier et travaille en service fermé de psychiatrie au centre hopitalier Ste Marie de clermont-ferrand.
    Enthousiasmé par la zoothérapie, je souhaiterai monter un projet de médiation animale dans l’hopital.
    Pourriez vous me communiquer le déroulement de la mise en place de votre projet ?
    Merci et félicitation pour votre travail pour les patients et pour votre vision des choses.

  2. 2admin

    Merci Vincent pour ce commentaire. Je vous contacte très bientot !
    Aurélie Vinceneux, Directrice fondatrice de l’association Coeur d’Artichien

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